L'Ecrivain

GR 20

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Bonne lecture!

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Résumé

Dans l'esprit de la plupart des gens, la Corse est un pays de bord de mer et de plages, avec son littoral très attractif de 1000 km de côtes! Mais pour nous, les randonneurs, la Corse est avant tout une montagne. C'est une montagne dans la mer, une montagne avec tous les dangers de la haute montagne. Le GR 20 est une véritable aventure de 180 km et 18000 m de dénivelé. A partir du premier pas sur le sentier, il ne faudra plus s'arrêter, il faudra impérativement arriver avant le soir à l'étape suivante. La nuit tombe vers 18 h, il faudra se lever à 5 h 45 min. Il faudra grimper et descendre des sentiers caillouteux. Il faudra escalader des rochers. Il faudra passer au bord de précipices souvent sans câble de protection. Il faudra porter en permanence des sacs à dos de plus de 12 kg, malgré la pluie, la grêle en haute altitude, parfois avec peu de visibilité. Il faudra tenir sous le soleil de plomb. Il faudra savoir être autonome dans les difficultés. Il faudra ne jamais craquer. C'est à ce prix que se gagne le GR 20. Il faut être solide. Sincèrement bravo à tous ceux qui le réussissent.

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Extraits du chapitre 1

"On opte pour la formule Liberté, c'est-à-dire sans guide. Seuls ceux qui ont de l’expérience en autonomie peuvent prendre le risque de partir seuls, en haute montagne. La formule Liberté demande la maîtrise dans la gestion de chaque jour de randonnée, des connaissances en lecture de carte et en orientation. L’organisation rappelle qu’il faut non seulement être sportif et avoir une expérience du trekking en montagne indispensable, mais que cette formule Liberté est réservée uniquement à des personnes en très bonne forme physique ayant déjà l’expérience des treks sur plusieurs jours, capables de gérer leurs randonnées seuls avec tout ce que cela implique. (Détermination, goût de l’effort, capacité à gérer son itinéraire, connaissance en météo, abstraction du confort habituel, matériel adapté…)."

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"Le parcours se déroule en partie à des altitudes supérieures à 2000 m avec des dénivelés positifs supérieurs à 600 m par étape. Dans sa partie nord, il y a plusieurs passages rocheux qui peuvent impressionner les randonneurs non habitués à la haute montagne. Certains passages délicats sont équipés de câbles, et sont dangereux par temps humide ou après la pluie, certaines dalles rocheuses devenant très glissantes."

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"Il est nécessaire d’avoir le niveau d’escalade facile. La difficulté du GR20 n’est pas un vain mot. Elle ne doit pas être sous-estimée. Sa durée, le climat, l’hébergement, et la nature du terrain sont les éléments qui rendent difficile la progression, et obligent parfois les randonneurs à abandonner."

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"Plusieurs jours auparavant ont été nécessaires pour compléter en achats ce qui nous manquait. On met aujourd’hui les affaires dans les sacs à dos de chacun, mais on dépasse le poids fixé par la Fédération de Randonnée et par le Topoguide ! Faut donc enlever quelque chose. Ça, on se l’est dit des dizaines de fois. Et des dizaines de fois, on a du enlever ce qui nous semblait pourtant indispensable. Donc impossible de prendre tout ce qui était dans les recommandations. C’est délicat, tout peut servir, selon la météo, selon les blessures, selon la qualité des refuges et surtout du couchage. On sait que de ne pas emmener ce qui est écrit par les organismes est prendre un risque. On sait aussi que d’avoir un sac plus lourd que ce qui est écrit par les organismes nous ferait souffrir énormément, voire devoir stopper l’aventure. Alors que faut-il privilégier ? C’est à se demander si ces organismes ont testé eux-mêmes la corrélation entre le nombre d’affaires préconisé et le poids recommandé ! Franchement, on a optimisé au maximum, ne prenant qu’un petit savon pour deux, une brosse à dents pour deux, une seule culotte (chacun), une seule paire de chaussettes (chacun) ! Pour les 14 jours ! La préparation d’une telle aventure est compliquée. Selon nos choix, il y aura forcément des conséquences."

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Extraits du chapitre 2

"C’est notre vrai petit-déjeuner avant bien longtemps, parce que ce ne sera pas comme ça dans les refuges. Douche, ça aussi, c’est la dernière confortable avant longtemps parce que dans les refuges ça ne sera pas du tout pareil. On se lave les cheveux, parce que dans les refuges ce sera à l’eau froide. On regarde le grand lit au matelas douillet, parce que dans les refuges … Nos sacs à dos sont prêts, comme assis fier sur le petit canapé de la chambre. Ils sont propres, nos chapeaux comme neufs y sont accrochés."

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"Une camionnette comme celles qui transportent les caisses de légumes sur les marchés arrive. Le chauffeur descend, parle, mais on ne le comprend pas, il ne parle vraiment pas bien le français. Normal, il n’a pas l’air français. Il dit aux autres de monter, mais comme c’est complet on reste dehors. On lui dit qu’on va rater notre avion si on reste là. Il a l’air de comprendre quand même. Peut-être parce qu’on lui a dit ça d’un air de grand désespoir, il nous fait signe de le suivre. Ce que l’on fait sans rien dire. Dans ces circonstances, presque anormales, il ne faut pas faire les malins. Il nous fait monter à l’avant de la camionnette, à côté de lui. Il démarre aussitôt, vite. Heureusement, qu’il nous a fait monter à l’avant, il roule mal, trop vite, le mal au cœur aurait été inévitable."

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"Mais malheur, une dame, derrière un écran qui affiche tout ce qu’il y a dans les sacs, au regard pas sympathique, appelle un agent en uniforme type CRS. Elle nous montre du doigt. L’officier arrive vers nous avec le grand sac à dos. On a pourtant bien mis que des choses autorisées. On avait bien lu les consignes quand on a acheté les billets d’avion sur internet. Pas d’explosif, pas de hache, pas de poignard, pas de pistolet, pas de fusil …"

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"Quelques instants plus tard, les deux hôtesses, pessimistes, expliquent à tous les voyageurs qui n’écoutent pas, comment sauter de l’avion si on nous l’ordonne, pour se retrouver dans un canot au milieu de la Méditerranée ! Le commandant, plus optimiste, nous souhaite un excellent voyage…"

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"Le bus est garé le long de la route. C’est un grand bus de ville, modèle des époques, presque un bus de collection vu son âge. On achète les billets, et le chauffeur dit qu’on peut mettre les sacs à dos dans les grands coffres à bagages sous le bus. On monte dans les premiers pour pouvoir se mettre aux premiers sièges tout devant, à cause du mal au cœur. Le chauffeur dit que ce bus n’a plus la pêche, qu’il est difficile à conduire, les vitesses passent mal. À peine parti, le bus tousse un peu, et broute. C’est inquiétant."

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"On demande alors à la dame de tout à l’heure qui nous a accueillis, qui parle beaucoup, mais sans intérêt, à quelle heure on mange. Elle dit qu’il y a un réfectoire à disposition pour ceux qui ont emporté leur repas. Surprise. On pensait que tous les repas étaient compris et programmés. On a beau dire à cette dame qu’on vient d’une organisation corse, elle ricane bêtement sans rien comprendre."

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Extraits du chapitre 3

"Le jour commence à se lever. Le sentier s’élève le long d’un authentique sentier muletier anciennement pavé. On continue de monter le sentier qui est caillouteux et étroit. C’est un démarrage sportif avec ce sac à dos qui semble déjà bien trop lourd. C’est à ce moment qu’on se rend compte qu’on a oublié le pique-nique de ce midi que nous avait préparé l’aubergiste."

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"On s’arrête, on admire. Il est rare de pouvoir regarder en même temps des sommets de montagnes et la mer immense, le tout au lever du jour, avec des parties ensoleillées et des parties dans l’ombre. Le spectacle est extraordinaire. La mer au loin en bas est encore bleu foncé et rejoint le ciel qui est rose au-dessus de l’eau, pour finir bleu clair sans un nuage. Faut grimper sur de petits rochers sans cesse, çà devient très physique, mais la vue plongeante sur la vallée et la mer est tellement belle. La vue est absolument grandiose."

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"Puis devant nous, c’est la première difficulté technique. Un pan rocheux, d’une dizaine de mètres, abrupte, à l’aplomb, dans des rochers équipés de câbles qui sont de grosses chaînes. En alpinisme arrière bien évidemment. À un mètre sur le côté, c’est un vide de 40 m ! Il faut obligatoirement avoir les premières notions d’escalade. Et surtout aucun signe de vertige. Ce qui n’exclut pas une extrême prudence, et une grande assurance. On descend lentement mais sûrement. Exercice difficile avec des sacs à dos."

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"Puis ça remonte à travers une barre rocheuse. On est dans de l’alpinisme. La pente est assez raide. Ici ce ne sont que des rochers qu’il faut traverser. Il n’y a pas de chemin, chacun trouve sa prise, l’essentiel est d’arriver de l’autre coté sur du plat. Cette traversée est impossible à ceux ayant le vertige. Il y a un vide impressionnant. Faut être concentré, ici pas de faute possible. Dès le premier jour, on constate que ce que l’on dit du GR 20 est tout à fait justifié."

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"Le refuge est petit (32 places), en bois, vétuste, sale, mais équipé du drapeau corse qui flotte sur la terrasse. Évidemment, pas d’eau, pas d’électricité et pas de réseau pour les portables. On rentre dans le refuge pour nous annoncer. C’est encore plus sale que dehors. Il y a un réchaud et des casseroles dans un état de saleté horrible et complètement cabossé. Les murs sont sales, non repeints depuis des années. Le patron est sale aussi, et mal aimable en plus. Il nous dit comment aller à notre tente, qui est à 100 m dans la caillasse ! Après nous avoir dit que le refuge est infesté de punaises de lit."

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"Les 4 douches sont dans un tout petit bâtiment pas très propre non plus, et avec de l’eau froide alimentée par le torrent d’à côté. On se lave comme on peut parce qu’on a trop transpiré, mais impossible de se mettre sous l’eau glacée. Chacun fait comme il peut, souvent en mettant l’eau dans sa main avant d’oser en mettre un petit peu sur soi. Tous hurlent plus ou moins fort."

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Extraits du chapitre 4

"Dans la tente exiguë, à la lampe frontale, on sort de nos duvets, ce qui n’est pas facile vu qu’il faut se tordre dans tous les sens ! On plie aussitôt le duvet pour le remettre dans sa housse. Une galère. Comme hier, on force comme on peut, et il rentre. On remet tout de suite les affaires dans le sac après avoir enfilé le polaire. Le reste on l’avait gardé pour dormir."

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"À 6 h 15, on est dans la petite salle crasseuse et sans électricité, avec une table et des bancs en bois sales. La pièce est lamentablement sale, mais on distingue un très grand drapeau corse accroché sur le mur. Bernard est déjà là, équipé de sa frontale, il a fait chauffer l’eau dans une casserole crasseuse et bosselée du refuge. Il faut arriver les premiers parce qu’il n’y a qu’une seule casserole !"

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"Pour certain, les premières douleurs apparaissent. Il faut ôter une chaussure pour mettre du coton entre certains doigts de pied. Cathy regarde et diagnostique. Elle donne ses pansements spéciaux que lui a fourni sa sœur qui travaille dans un hôpital. C’est vraiment gentil. Surtout que l’on est qu’au début de l’aventure, et qu’on peut soi-même en avoir probablement besoin plus tard. Vraiment merci.

On franchit la passerelle balançoire suspendue métallique de Lamitu d’une vingtaine de mètres de long sur autant de hauts, tenu par des câbles, avec des planches non jointives pour marcher. Il faut la traverser doucement sinon elle se balance dans tous les sens. Pas possible si vertige. Puis s’en suit une pénible et très longue montée en sous-bois et très chaude chaleur. On y croise un muletier sur une mule, avec 3 mules attachées qui le suivent. Les mules sont chargées de gros sacs en toile de part et d’autre. Les mules descendent sur de gros cailloux, voire petits rochers, sans s’arrêter, sans même glisser. Incroyable. Et enfin une très très raide, et très très pénible montée en tous petits lacets, en forêt d’immenses arbres. C’est un véritable mur devant nous, on est assommé par la chaleur. Le petit sentier étroit n’est fait que de petits cailloux qui roulent sous nos pas. C’est tellement éprouvant que des caractères se rebiffent, et on entend les premiers regrets d’être venu dans cette galère…"

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"Ici tout est incroyablement vétuste, sale, déglingué. On y prend une douche à l’eau froide, même glacée, dans une cabane sale. Même dehors, c’est sale, partout. On se demande même comment les arbres poussent. Aucune porte ne ferme, mais çà c’est presque partout pareil dans les refuges. À côté des douches se trouvent les toilettes, vraiment pas propres. Pour y accéder, il faut prendre un escalier en bois disloqué, dont la balustrade bouge, et dont il manque la dernière marche, très haute. Franchement honteux. Et surtout dangereux. Aucun respect pour les randonneurs épuisés."

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"On s’installe sur des bancs en bois autour d’une grande table de 8 personnes protégées par des nappes totalement vétustes, avec des dessins ridicules de coccinelles. Même s’il pleut, ici, vous mangez dehors, parce que ce n’est pas prévu à l’intérieur. On nous apporte une soupière pleine de soupe de lentilles, et 8 bols empilés les uns dans les autres. Débrouillez-vous. Ce n’est pas de la soupe, c’est de l’eau, et presque froide. Puis on nous dépose un grand saladier de pâtes avec des assiettes en carton. Franchement, ce n’est pas cuit, c’est presque froid, c’est immangeable. Une honte. À la fin du repas, le gars du refuge passe avec une grande poubelle, et demande qu’on y jette nos assiettes."

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Extraits du chapitre 5

"Après quelques passages nécessitant quelques notions d’escalade, on arrive à la passerelle de Spasimata. Cette impressionnante passerelle suspendue, tendue à une quinzaine de mètres de haut et longue de 31 mètres, portée par des câbles d’acier, permet de franchir le ruisseau de Spasimata. Dessus, il ne faut pas avoir le vertige. À travers les plaques métalliques qui sont écartées de 20 cm, on voit et on entend le torrent qui fait un bruit énorme. La chute serait fatale. Elle est le seul moyen d’accès pour continuer le GR 20. Quand on arrive de l’autre côté, on a déjà pas mal d’émotion dans les jambes. Même si vous êtes alpiniste chevronné. Ici c’est prudence et concentration au maximum."

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"Un passage est tellement dangereux, et non équipé de câble, qu’il faut se bloquer contre un bout de roche pour faire passer un autre randonneur. On devrait plutôt dire alpiniste dans cette configuration. Il faut se mettre presque allongé pour pouvoir bloquer les pieds là où il y a une bonne prise ! Puis se bloquer avec une main à une autre prise. On a ainsi une main de disponible pour tenir l’autre qui pourra franchir, en rampant, cette dalle rocheuse beaucoup trop penchée pour se tenir debout, au-dessus d’un vide de dizaines de mètres. Ce qu’a fait Bernard pour nous aider. L’entraide de l’esprit haute montagne. Ce passage restera gravé en nous. C’est de l’aventure extrême. Il y a comme un air de sérénité en ce lieu. C’est inexplicable, c’est presque comme si ça donnait du sens à notre vie…"

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"Le sentier, que l’on ne distingue plus, puisque l’on marche de plaques rocheuses en rochers, continue son ascension en serpentant le long d’une impressionnante barre rocheuse, par endroits équipés de chaînes. Il faudra même descendre en rappel sur une dizaine de mètres à l’aide d’une grosse chaîne toute rouillée. Également interdit par temps de pluie. Là, c’est sûr, il faut avoir fait de l’alpinisme avant ! Parce que descendre une paroi abrupte à presque 90 ° nécessite des connaissances de descente en rappel, surtout avec un lourd sac à dos handicapant. Et avec un genou pas encore complètement guéri de son entorse avec déchirement d’un ligament, c’est carrément de l’exploit. Sacrée montée, avec un sac à dos qui nous semble peser une tonne. Mais l’effort est récompensé par le point de vue très étendu sur la vallée, et oh récompense, on aperçoit la Méditerranée. Une vue pareille ça se gagne, ça se mérite. Ça vous donne la chair de poule. On se regarde, on se donne la main. Peu ont l’occasion de réaliser en commun un exploit sportif à haut risque."

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"On est au sommet, et on voit tout un pan de montagne abrupte, qu’il va falloir descendre. Faut y aller, on y va. On doit descendre des rochers de presque 2 m de haut sans aucune prise. Faut s’asseoir, se laisser glisser un peu, et sauter. C’est dangereux parce qu’à la moindre chute, vous cognez dans un autre rocher. On arrive devant un nouveau passage difficile. Il faut passer sous un énorme bloc de roche qui a échoué contre une paroi rocheuse, et qui est le seul passage possible. D’un côté une haute paroi, et de l’autre un vide. Le bloc gigantesque fait plusieurs mètres de haut. Le passage sous cette roche ne fait même pas un mètre de haut, sur trois mètres de long. Il faut enlever le sac à dos, se faufiler sous la roche sur un autre rocher incliné à 45 °. Et quand on en sort, il faut aller sur un minuscule promontoire et se mettre en arrière pour descendre de 10 mètres en rappel à l’aide d’une grosse chaîne. Impressionnant."

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Extraits du chapitre 6

"Il y a un grand soleil, et il fait très chaud. Les paysages, bien différents de la roche nue d’hier, sont magnifiques. On y voit des arbres petits et moyens devant nous, des collines verdoyantes aux formes arrondies, une chaîne de montagnes avec peu de végétations beaucoup plus loin, et une autre chaîne de montagnes dénudée avec plein de sommets à la couleur bleu-gris."

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"Il faut traverser le torrent à pied en passant de rocher en rocher. Le courant est fort, il ne faudrait pas tomber ! Les rochers sont tout biscornus, comme pour nous empêcher de passer dessus. Et pourtant, il faut le traverser ce torrent. Et là, avec une entorse toute fraîche guérie, pas possible de descendre les rochers naturellement. Il ne faut pas plier le genou, il faut mettre une main par terre pour s’aider. Les rochers sont lisses, pas de prises possibles. L’exercice est périlleux. Les gros sacs à dos ne facilitent pas la tâche. Mais en se tenant la main pour aider, on traverse. Compliqué avec un handicap physique. Et çà depuis le départ de GR20. Franchement bravo. Admiration !"

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"On va voir le patron qui d’un air hautain, ou sévère, ou mal aimable, nous dit que notre tente est là-bas, la montrant du doigt, et rajoute qu’il faut chercher le matelas et le protège-matelas dans la cabane à côté de l’enclos des mules. Ce que l’on fera tout à l’heure."

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"Des randonneurs ont construit de magnifiques cairns de pierres superposées dans un équilibre parfait, à la limite de la chute. De vraies œuvres d’art, comme si chaque randonneur voulait superposer 5 à 8 pierres comme de petits menhirs, tous différents."

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"Comme à chaque refuge, les tentes sont posées sur la caillasse. Normal, il y en a partout. Et tout autour, ce ne sont que des blocs de rochers de toutes tailles, et quelques rares arbres. Les lézards sont partout, ils sont verts et noirs, et très rapides. On va chercher les matelas qu’on étale dans la petite tente. On déballe les affaires, on accroche les frontales pour la nuit. On remplit les 4 gourdes pour le lendemain. On va voir où sont les douches. À côté des 2 toilettes. Il y a de l’eau tout autour et de la boue. Heureusement qu’avec la caillasse, il y a des pierres où l’on peut marcher dessus, sans se mouiller les pieds. Ici les fuites d’eau ne coûtent pas cher, c’est l’eau du torrent. On va donc prendre notre douche à l’eau très froide. Ce qui n’est pas agréable du tout. C’est tout un art de savoir se laver avec quelques gouttes mises dans sa main !"

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"On sort du refuge pour aller à notre tente. Il faudrait presque avoir les frontales. Il n’y a que des rochers de toutes formes, de toutes hauteurs. C’est lunaire. Les roches, éclairées par la lune, sont devenues grises. On pourrait tourner ici un film d’épouvante. Faut vraiment aimer la haute montagne pour ne pas angoisser. Nous, on admire, encore une fois, les ombres que forment les montagnes, avec ce ciel qui passe du bleu au noir, en passant par le rose. Jusqu’à la nuit noire, où on se sent tout seul dans cet endroit entouré comme des remparts noirs que forment les montagnes. Oui, vraiment, tout seul, il y aurait de quoi avoir peur !"

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Extraits du chapitre 7

"Maintenant, devant nous, on voit une raide et longue montée à travers les barres rocheuses qui vont jusqu’aux nuages, et qui sont devenus gris foncé. C’est comme une gigantesque falaise. Effrayant. Ça se complique, c’est presque dangereux. Toute chute serait grave de conséquence. Ici, il faut grimper en escalade, en s’agrippant à la roche des deux mains, sans tenir compte du vide impressionnant en dessous de nous. On avance cm par cm."

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"Plus on s’approche du sommet, plus le vent est violent. Et il est franchement devenu si fort, qu’on ne peut plus se parler tellement il fait un hurlement constant. Maintenant, le plus grand danger est la prise au vent des sacs à dos lorsqu’on est debout collé contre une paroi. Le déséquilibre peut être inattendu et brutal à chaque bourrasque. La chute serait au moins d’une centaine de mètres. Autant dire qu’ici, on n’est rien du tout. C’est incroyable comment dans ces moments extrêmes, on peut trouver en nous, détermination, mental, volonté, lucidité, et forces. Le vent nous empêche de nous tenir droits. Les bourrasques sont glaciales. On est collé à la paroi, recroquevillé, essayant de se protéger le visage comme on peut. On grimpe lentement, prudemment en respectant une règle sacrée d’alpiniste : toujours avoir trois points d’appui, parmi les quatre que sont les deux mains et les deux pieds."

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"On passe sur une petite corniche de 20 cm avec, d’un côté le vide, dont on ne peut voir toute la profondeur tellement c’est loin tout en bas, et de l’autre côté la paroi presque verticale. Heureusement, la roche est extrêmement dure, et permet de bonnes prises avec les doigts et les pieds. Il n’est pas exagéré de dire qu’il est anormal de ne pas avoir de câbles pour se tenir à ce passage. Non seulement il ne faut pas avoir un chouia de vertige, mais il ne faut pas non plus être froussard. Avec détermination, et les doigts presque glacés, on atteint le col. Incroyable ce que l’être humain peut être capable de faire de grandiose quand la vie ne tient qu’à quelques prises …"

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"Le vent, nous dira-t-on ce soir au refuge, dépasse les 100 km/h. Rarement, on a l’occasion d’être dans une situation aussi dangereuse, sur une durée si longue, seuls, dans les éléments si violents. On peut enfin s’arrêter, transi de froid, pour mettre les coupe-vent. On ne peut rester en face du vent, on a du mal à respirer. On tient à peine debout. C’est invraisemblable. Le sac à dos amplifie la prise au vent. On vacille, ne sachant pas comment se positionner. Par chance, on voit, maintenant, devant nous, un petit muret d’à peine 1 m de haut, fait de pierres plates et d’un gris bleu luisant. On y va, et pour se protéger, on doit se mettre accroupi. On ouvre nos sacs à dos, on cherche les coupe-vent, qui bien entendu sont tout au fond. On s’aide pour les enfiler, pas possible de le faire tout seul. Même abrité, le vent est encore beaucoup trop violent. On met aussi les bonnets. Gros soulagement. Satané vent."

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"On n’est vraiment pas rassurés, tous seuls ici, tout en haut, sans réseau de téléphone. Mais il est impossible de rester là immobile. Il faut impérativement poursuivre. On repart, au ralenti, à la limite de l’équilibre, secoué de tout côté par de violentes bourrasques. Au moment où on passe de l’autre côté du col, la pluie arrive. Faut des nerfs solides. Trouvant une énergie en nous, porté par notre complicité, on ne se pose pas de questions inutiles, on avance."

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Extraits du chapitre 8

"Il faut franchir le col. A nouveau tout est cailloux et rochers avec certains passages surplombant le vide de chaque côté. Impressionnant. Prudence à cause du vent qui nous déséquilibre avec nos sacs à dos. Chacun est très concentré, même les plus forts comme Myriam qui fait partie d’un club d’alpinisme qu’elle pratique toute l’année. Et on est toujours dans le nuage. Malgré tout, la randonnée sur roche mouillée, avec pluie et vent, est bien plus rassurante à plusieurs. Ça change tout. Mais le danger est là tout de même. Il faut s’agripper aux prises glissantes des rochers, faire attention de ne pas déraper sur les rochers rendus savonneux avec la pluie. On repart, on aperçoit tout en bas le lac de Nino. Malgré les nuages bas et le froid, c’est une vue de carte postale. C’est absolument magnifique. Un grand lac de montagne bleue, niché dans le fond de la montagne rocheuse. Le sentier sans cailloux, mais de terre glissante, descend raide. Là aussi, prudence. Ce serait bête de tomber à cause du sol trop mouillé !"

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"Comme les nuages ont complètement disparu, et qu’il fait chaud, on s’arrête tous ensemble au bord d’une vasque d’eau entourée d’énormes plaques rocheuses, et une mini cascade en amont. C’est un endroit magique. Tout le petit groupe se décontracte. Paul et Jocelyn vont même se baigner dans l’eau glacée du fleuve torrent. Comme d’habitude, Jocelyn fait le pitre. Il reste allongé un moment, le corps totalement dans cette eau très froide. Il dit, en souriant, que c’est normal pour un Québécois !"

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"C’est un petit refuge de 30 places, avec un énorme drapeau corse qui flotte. On va demander où est notre tente. Le patron ne nous fait pas entrer. Il est derrière une porte basse, comme coupée en deux, et nous parle, à tous, comme s’il était un grand personnage. Il nous dit qu’il faut acheter un jeton pour accéder à la douche avec eau chaude. Incroyable. Il nous explique l’emplacement de notre tente, derrière le refuge, derrière des arbres, et débrouillez-vous."

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"On va à la douche. Pas propre et qui ne ferment pas. Non seulement c’est payant, mais le temps est limité à 3 min ! Il faut y aller à deux. Un qui va dans la douche, et l’autre qui doit mettre le jeton dans la boîte accrochée au mur, qui tient avec du chatterton. Quand celui qui est dans la douche est déshabillé, il doit crier que c’est bon, pour que l’autre enfile le jeton, et que le compte à rebours démarre. Parce que tout seul, 3 min pour entrer dans la douche, fermer la porte, se déshabiller, et enlever toute la sueur, ça passe très vite !"

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"À 18 h 15 mn, on va manger comme l’avait dit le patron. Pas le droit d’aller dedans, il est obligatoire de manger sur la terrasse dans le froid ! On se met tous à la même table, serrés comme des sardines. Et on a tous un bonnet, le maximum de polaires sur le dos, c'est-à-dire deux. Christian n’est pas content du tout qu’on ait si peu de considération pour les randonneurs, surtout qu’il a un œdème aux yeux. Probablement dû à trop de fatigue. Ça lui fait un visage tout déformé. Ce GR laisse des traces. Saucisson, grosses pâtes, pain, fromage, et un genre mousse au café pas bon. Franchement, ce n’est pas très appétissant. Manger dehors dans le froid et l’humidité, même en rando, c’est spécial."

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Extraits du chapitre 9

"On ne s’arrête pas, il ne faut pas. À nouveau une véritable falaise constituée d’énormes blocs de roches qu’on escalade les uns après les autres. Faut être costaud. On ne voit même plus le vide sous nous. On est concentré à fond sur nos prises. Ici, on peut affirmer que le GR20 est de très haut niveau physique. On n’en voit pas le bout. Là aussi, à chaque rocher franchi, il faut observer pour trouver sa voie. Rien n’est indiqué. Chacun doit être capable de se frayer un chemin, d’optimiser son tracé. C’est terriblement épuisant. On est vraiment ailleurs. Totalement hors civilisation."

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"On est seuls dans ce monde lunaire, il n’y a plus de randonneurs derrière nous. Psychologiquement, c’est beaucoup plus dur. C’est carrément angoissant. Parce qu’il y a danger à chaque mouvement de pied. Parce qu’il peut arriver un accident à tout moment, si on se déconcentre. Parce qu’on doit se débrouiller en totale autonomie, personne ne nous viendra en aide puisqu’il n’y a personne. Parce qu’on sait qu’on ne peut plus rebrousser chemin. En haute montagne, on connaît la peur. C’est une peur franche. Pas une peur de capricieux. Cette peur nous donne un mental qu’on ne soupçonnait pas, nous donne des forces, et nous soude encore davantage."

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"Il se met à pleuvoir, il faut sortir les ponchos qui recouvrent complètement les sacs à dos. Ce n’est pas agréable du tout. On est sur une crête d’à peine 1 m de large avec un versant de montagne de chaque côté en pente très raide. Vertige interdit. Mais comme il y a danger presque constamment, qui oblige une attention extrême, on l’oublie le vertige. Ce qui n’exclut jamais l’appréhension du vide absolument nécessaire pour rester dans la réalité, dans la concentration et la prudence. Ici également, c’est une vue de carte postale. Superbe même avec pluie. On y voit de toutes petites fleurs de montagnes qui poussent dans un peu de mousse entre 2 rochers. Oui la montagne Corse est très belle pour des randonneurs alpinistes."

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"Le vent s’est levé, et donne de fortes rafales. Les ponchos nous gênent dans nos mouvements. Surtout dans les passages où il faut escalader. On ne voit parfois rien, car la capuche du poncho se rabat sur la moitié du visage. C’est un très gros handicap. On ne voit pas où il faut mettre les pieds, il faut trouver des prises à la seule sensation du pied. C’est vraiment dangereux. Mais il faut avancer, puisqu’on ne peut rester ici. Quand on pense que les gens disent qu’il fait toujours beau en Corse !

Maintenant, il grêle et il pleut énormément. On est toujours dans le nuage. Il faut garder le moral, il ne faut pas craquer. On n’est plus rien, tout au sommet de cette montagne, avec le vide de chaque côté, sous la grêle et le vent glacial. On ne voit pas à plus de dix mètres. Et dix mètres, ce n’est vraiment pas beaucoup en haute montagne. On ne voit pas les repères rouges et blancs. Franchement, il y a de quoi avoir peur. Osons l’avouer, le montagnard, alpiniste également, qui connaît trop les accidents en haute montagne, est, cette fois-ci, conscient qu’on est à la limite du possible. À chaque repère rencontré, c’est un soulagement énorme. C’est très éprouvant. La souffrance de l’inquiétude est bien plus importante que la souffrance physique. Tout peut nous arriver, même la foudre. On est totalement à la merci des éléments de la nature. On avance tout de même, inquiet de voir la nuit arriver. Mais dans ces conditions extrêmes, on ne se pose pas de questions, c’est de la survie. Il faut avancer coûte que coûte."

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Extraits du chapitre 10

"A la frontale, on prend le bout de pain, la petite capsule de beurre, la petite capsule de confiture, le petit pot de compote. On entend quelqu’un qui râle déjà, agacée parce qu’il n’y a pas le petit sachet de café. Continue de râler, enlève sa frontale, et la pose sur la table. La solution est, tout simplement, de demander du café, mais, de mauvaise humeur, refuse que l’on demande. Taratata, quelqu’un d’autre doit le faire à sa place. Après un appel au café aux randonneurs attablés, un jeune homme arrive, et lui en donne. C’est ça l’esprit de partage de la haute montagne. Fin de la mauvaise humeur."

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"Le sentier traverse les ravins. Faut évidemment être très vigilant, mais toujours la même récompense, les vues sont splendides. On se sent tout petit dans cette nature, où un seul rocher bascule, et c’en est fini de nous. On aboutit à la bergerie, où ils fabriquent du fromage et du brocciu. Il se dit que la fabrication est transmise de génération en génération comme une sorte de secret."

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"On s’y arrête pour pique-niquer. On étale tout sur un gros caillou : 2 berlingots de compote, 1 paquet de biscuits, 2 petites barres de céréales, du pain, du riz dans les Tupperwares. Et 2 bouteilles d’eau foncée. On réalise que c’est le café de ce matin qui a été mis dans une bouteille. Évidemment, quelqu’un ne peut s’empêcher de dire que c’était une très mauvaise idée, stupide, qui n’a aucun sens. Et d’en vouloir même à tous les Corses !"

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"On doit franchir le ruisseau en passant de gros cailloux en gros cailloux, ce qui n’est jamais simple avec de gros sacs à dos. Faut surtout s’aider des bâtons télescopiques, ce que nous savons bien faire ! Et on continue par le sentier qui reprend son ascension sous une hêtraie. C’est une longue montée qui n’en finit plus. On transpire, d’autant plus qu’on n’a pas pris de douche hier soir, à cause de l’état lamentable. On pue donc deux fois plus, heureusement qu’il n’y a pas de mouches !"

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"Ici, à l’accueil, on voit qu’il y a une prise de courant. On demande si on peut recharger nos téléphones et appareils photo, qui sont à plat. Le patron dit oui, mais c’est payant. Incroyable. Sympa, mais malin. De toute façon, on n’a pas le choix, on lui donne tous nos appareils. La dame, avec le sourire, précise que le prix indiqué est par appareil. Ah oui, sympa, mais malins !"

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"On va à la tente, les nuages sont tous noirs, il va pleuvoir. Le linge ne sèche pas du tout, les 2 polaires sont toujours mouillés. Il faut pourtant s’habiller le plus chaud possible. Alors système D, il faut mettre la serviette en micro fibre, qui est sèche, sur le ventre, avant d’enfiler les 2 polaires mouillés."

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"On quitte le refuge tous ensemble, contents. Et là quand on dit tous, ce sont tous les randonneurs. Une trentaine, habillée de toutes les couleurs, de nationalités différentes. On se dit bonne nuit, gaiement. Ça sent bon l’esprit haute montagne. On va sous la tente. On se met dans nos sacs. On papote un petit peu. On est ravi. C’est vraiment une belle aventure."

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Extraits du chapitre 11

"On croise un jeune couple. La jeune femme est en pleurs. On demande s’ils ont besoin d’aide. Non. Ils vont faire demi-tour, victime du vertige. Ça se comprend. Quelle déception ! On est devant un bloc de rochers à 5 m de haut, qu’il faut escalader, pour le franchir sur sa pointe, sans pouvoir se tenir à aucune prise. Juste debout en équilibre. Ça nous fait de la peine pour eux."

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"On marche sur l’arête étroite avec le vide de chaque côté. Ça passe sans problème. On sent l’assurance acquise depuis notre départ. Puis, après encore une rude montée demandant effort et prudence, on passe sous le sommet étroit où l’on ne peut rester qu’à 2 ou 3. On aperçoit ce que l’on va devoir descendre. Inquiétude. C’est une paroi rocheuse fortement inclinée. Sans sac à dos, c’est faisable. Avec sac à dos, faut être obligé d’y aller pour y aller ! Aucun câble de protection pour vous aider. Incroyable. Faut avoir des notions d’alpinisme obligatoirement. On descend cette paroi cm par cm, en se tenant aux petites aspérités de la roche. C’est très dangereux, on reste côte à côte, comme lié. Complice. C’est long, fastidieux. On a parfois les doigts tétanisés. Ils travaillent non-stop. Et là faut qu’ils soient performants, ils sont notre survie. On a aussi de bonnes chaussures de rando qui tiennent sur quelques cm. L’équipement, dans ces passages, est primordial, voire vital. On est concentré à l’extrême, cherchant en permanence la prochaine prise possible, tant pour les mains que pour les pieds. On ne regarde ni en bas, ni en haut. Dans ces moments-là, plus rien n’existe autour de nous. On est absorbé par la roche juste devant nous, à quelques cm. À force de ténacité, de persévérance, de technique bien sûr, on arrive victorieux en bas."

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"C’est avec une prudence extrême qu’il faut descendre de gigantesques plaques glissantes de plusieurs mètres de haut. Parfois en enlevant les sacs à dos qui sont de véritables contraintes, tout comme les ponchos qui empêchent de bien voir. Franchement, c’est tellement dangereux, que l’angoisse tord le ventre, à en faire très mal. C’est affreux. Des moments qu’on aimerait ne pas vivre. Mais on n’a pas le choix, il faut avancer quitte à ramper sur ces plaques. Certaines sont infranchissables. Trop d’eau dessus. Si on glisse, on dégringole de 50 m dans le torrent gros et furieux. La mort assurée. Il faut donc les contourner. On doit chercher un autre tracé. La problématique est simple. Sur notre gauche, le vide qui donne sur le torrent, et de l’autre la forêt sauvage, impénétrable. Le choix est vite fait, c’est la forêt. Il faut absolument trouver un passage."

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"On doit passer sur une grande plaque lisse et mouillée, inclinée sur ses 2 axes, et dont son sommet est arrondi. Il n’y a aucune prise. Impossible d’agripper la moindre particule de roche. Examen fait trois fois. La chute dans le torrent est inévitable. Il faut savoir abandonner quand il le faut. Ici, pas de fierté, pas d’orgueil, seulement de l’humilité et de la raison. Et surtout garder toute son énergie et sa tête pour être au maximum de son efficacité. Il faut remonter le long du torrent jusqu’à ce que l’on trouve un passage possible. C’est stressant. On cherche, on observe bien où le hasard aura mis des rochers franchissables dans ce torrent furieux. On fini par trouver. Et ça râle, ça râle. On ne plaisante pas dans des instants aussi dramatiques. Une seule erreur, et on est emporté en quelques secondes. Il faut savoir écouter les phrases méchantes sans les entendre. Ça n’a absolument aucune importance au regard de la mort possible. Ce qui compte, c’est se sortir de cette situation d’enfer."

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Extraits du chapitre 12

"On sort d’une forêt de sapins avec plein de grosses pommes de pins parterre et, devant nous, un panorama de carte postale. Une colline de chaque côté, recouverte de forêt qui s’enfonce dans une vallée boisée dont les couleurs se font plus foncées. Devant, au loin, une montagne grise dont on ne distingue que la silhouette des sommets sur fond de ciel bleu très clair. Le sentier est facile, même s’il y a, de temps en temps, de petites montées raides à travers des rochers avec un peu de précipices sur le côté. Tout de même ! Mais c’est de la rigolade maintenant pour nous !"

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"On arrive à un magnifique endroit où coule un torrent qui fait un bruit bien agréable. On prend le temps de l’admirer. On le franchit par une longue passerelle en bois bien solide. Le sentier passe le long de la rive droite parmi de gigantesques sapins, d’un diamètre impressionnant. On se trouve tout petit à côté. On continue tranquillement en sous-bois de hêtres. Le sentier tout doux sous nos pieds descend sur le versant de l’arête, toujours en forêt. On y croise des cochons sauvages que l’on peut approcher, même toucher si on ose. Ils sont grands comme des sangliers, marron, avec de grandes oreilles qui se rabattent, et ils fouinent en permanence le sol pour chercher à manger."

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"C’est un petit chalet miniature dans la caillasse, avec une porte qui ne ferme pas à clef. Ce qui est normal dans tous les refuges. Et 2 petites fenêtres. Il faut baisser la tête pour rentrer dedans. C’est propre. Pour un refuge. C’est pour 7 personnes, avec des lits superposés métalliques bleus. Pas d’électricité, ni ici ni au refuge. On y voit des lézards bleu foncé aux taches jaunes."

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"On ne lave pas nos affaires, on les remet chaque jour. Parfois, sous les tentes, on dort même avec. On est vraiment dans une aventure. Ce n’est pas comme dans la vie de tous les jours. Néanmoins, on les met sur une ficelle tendue entre 2 arbres, juste à côté. On voit un magnifique papillon bleu clair butiner des boules blanches d’une grande fleur."

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"Lorsqu’on se met à table où il y avait nos noms ainsi que ceux des Québécois, on dit au patron que 2 de nos amis ne sont toujours pas arrivés. Il dit qu’on peut encore attendre 30 min. Après il fera trop nuit, il appellera les secours. On mange la salade composée, et on met de côté les 2 assiettes de Judith et Serge qui ne sont toujours pas arrivés. Le patron dit alors qu’il va appeler la gendarmerie. Et au même moment ils apparaissent avec des visages totalement défaits. On respire tous mieux. Ils nous expliquent que c’était une étape très très longue, et qu’ils ont perdue beaucoup de temps à la fin du parcours parce qu’il faisait nuit à l’intérieur de la forêt. Ils ont eu très peur, comme jamais."

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"À 20 h 30, on regagne tous ensemble le petit chalet. Comme il ne reste que les places en haut des lits superposés, Judith dit qu’elle va dormir ailleurs parce qu’elle ne veut pas dormir en haut. Et elle s’en va suivi par Serge. Alors Paul nous explique que tous les deux roucoulent, et que c’est un prétexte pour être ensemble hors d’ici. Paul dit même qu’un soir, il les a entendus s’aimer ! Et raconté par Paul, c’est comique."

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Extraits du chapitre 13

"Oh malheur, devant nous, des rochers impressionnants barrés par un nuage gris presque noir. Et il faut aller là-dedans, sans savoir ce que l’on va y trouver. On n’y rentre pas de bon cœur. Croyez-moi, à cette altitude, quand vous n’êtes que deux, vous êtes inquiet forcément. On franchit une zone escarpée d’éboulis qui demande une certaine gymnastique. Certains rochers font dix mètres de haut, sont posés là incliné, en équilibre tout juste, et on doit passer dessous. C’est une descente dans des conditions de difficultés extrêmes. Les jambes, les pieds, les chevilles doivent se demander ce qui se passe. On a toutes les raisons de craquer. Et extraordinaire, au contraire, on trouve en nous une lucidité sans faille qui nous fait avancer avec détermination. Avec le genou comme ennemi, descendre sur ce fouillis de rochers de toutes formes est un exploit."

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"Il se met à pleuvoir. Aussitôt, on met nos ponchos. C’est angoissant, on ne voit rien, il faut chercher les repères rouges et blancs. Il fait tout à coup froid, très froid. On est les derniers ce qui veut dire qu’on ne peut pas se permettre d’arrêter pour attendre un autre randonneur et continuer ensemble. On marche doucement conscient du danger. On a les mains presque comme gelées. Mais on avance, là-haut, seuls au monde, dans le nuage. Je vous assure qu’il faut être montagnard pour endurer une telle épreuve. Alors qu’est-ce que ça doit être difficile pour quelqu’un qui ne l’est pas. Ça explique et on pardonne toutes ces mauvaises pensées et phrases que l’on peut entendre. Il pleut de plus en plus fort, le vent devient violent, la météo devient folle. C’est l’enfer. Franchement, il faut être solide pour ne pas craquer. Cette sensation de vulnérabilité totale est un vrai supplice."

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"On marche sur des plaques rocheuses glissantes, sans pouvoir se tenir à quoi que ce soit, avec le vide à côté. Là vous vous demandez s’il faut y aller ou pas. Est-ce raisonnable ou pas ? Le degré de risque est très élevé. Maintenant, il grêle. Incroyable. La moindre glissade est c’en est fini. Il n’est même pas possible de se mettre à l’abri pour passer la nuit. Il n’y a rien qui pourrait servit d’abri, absolument rien. Il faut continuer, être sûr de soi, être fort. On arrive, dans la pénombre du nuage, et transit de froid, à un sommet sans nom. Même pour un sommet anonyme, on rajoute une petite pierre sur le cairn."

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"Sous une pluie torrentielle, on va devant une cabane qui ne tient debout que parce qu’elle est accolé à des arbres. Petite, moche, déglinguée. Il n’y a même pas de porte. Juste une ouverture de fenêtre. Dedans se trouvent le patron. Il est crasseux comme sa cabane. On est abrité par un tout petit auvent de 1 m par 1 m. Honteux. Il nous dit, en parlant fort et pas forcément gentiment, de prendre une tente de libre, il ne sait pas qui a pris quoi, donc faut chercher. Merci il pleut, on n’en peut plus, on mériterait un tout petit peu de compassion. Et rajoute, en hurlant, qu’on mange à 18 h !"

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"Il n’y a qu’une seule douche, sale, très sale, dans un cabanon en bois pourri, alimenté par un tuyau qui vient d’un ruisseau alentour. C’est trop sale, on ne se lave pas. Tant pis. A côté, un cabanon qui ouvre sur des toilettes turques cassées, avec un tuyau d’arrosage qui vient lui aussi du ruisseau d’à côté, et qui coule sur le mur de derrière constamment. C'est-à-dire que vous avez l’eau glacée qui vous coule dans le dos en permanence. On n’y va pas non plus. Une honte. Inimaginable."

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Extraits du chapitre 14

"Le ciel est bleu gris foncé, les montagnes alentours qu’on ne voyait pas hier, ne sont que des masses de silhouettes noires. C’est magnifique. On se sent tous petits, vulnérables dans cette immensité noire. Carole, Paul, et Jocelyn sont déjà là, ils ont même fait chauffer l’eau pour le café. Vraiment, c’est très sale ici, et il y fait froid. Avec l’éclairage des frontales, on se croirait dans une cave abandonnée, avec plein de choses déglinguées à l’intérieur. On cherche nos sacs papier avec nos repas dans un grand carton qui a dû servir aussi de poubelle. On sort le petit-déjeuner sur cette table crasseuse, et on prend nos petites portions de beurre et confiture avec le bout de pain. À 6 h 50, on sort du refuge, on ne va pas aux toilettes, c’est trop infect. Pour cette fois, on fera dans la nature."

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"Le ciel passe progressivement du noir au bleu, en laissant apparaître au loin des filaments de nuages roses. La montagne enlève aussi progressivement son manteau noir de nuit, et les quelques touffes de végétation apparaissent en vert. La montagne ici apparaît en couleur gris clair. Le lever du soleil au ralenti est toujours une merveille. Faut grimper là-haut. En sueur, on arrive à l’arête faîtière où la vue sur les vallées de chaque côté est splendide. C’est comme une immense photo un peu floue, un peu pastel. Pour récompense bien méritée, on a une vue qui va loin, très loin. Devant nous, des blocs de rochers ne sont pas encore éclairés par le soleil. Un peu plus loin, mais pas beaucoup, une arête rocheuse qui descend raide sur un précipice. Pas éclairé, on distingue comme des veines que sont les fissures de cette masse rocheuse. Tout à l’heure, on va l’escalader, et passer de l’autre côté. Plus loin, une autre arête tout aussi abrupte descend dans la vallée. Celle-là est un peu dans l’ombre, on ne distingue que sa silhouette. Encore plus loin, beaucoup plus loin, une montagne dont on ne distingue que le contour formé de sommets. C’est carrément gris. Et au fond, une autre montagne dont émergent quelques bosses que sont ses sommets. Celle-là est toute noire. Et derrière la montagne du fond, juste au-dessus, sur des kilomètres, des lignes, des couleurs gris clair, un peu mauve, puis rose, puis orange, puis jaune, et enfin bleu très clair pour finir par du bleu un peu foncé. Et surtout, sur sa gauche, une immense boule de blanc et jaune apparaît. C’est grandiose."

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"Il faut se glisser, en descendant, dans une cheminée d’environ 10 m, très étroite qui surplombe un immense vide. Et aucune protection par câble ! Ce n’est pas sérieux. Paul et Jocelyn nous aident à passer. Heureusement qu’on avait fait 3 ans d’escalade. Passage très compliqué, très technique, surtout avec un sac à dos. Dans ce cas de figure, descendre n’est pas simple. On ne voit pas en dessous de nous. Il faut tâter du pied pour trouver une prise. Il faut aussi beaucoup de forces dans les bras. Et surtout, faut oser y aller, faut avoir confiance en soi. De toute façon, on ne peut pas rester bloqué dans un passage, d’autres attendent derrière ! Aussitôt, il faut monter une paroi en escalade sur 7 mètres, avec un petit couloir pour les pieds très étroits. Et toujours le vide juste à côté. Là plus personne ne rigole, c’est concentration maximale. Ce n’est que de la technique d’alpiniste. Tous les muscles travaillent à fond, au ralenti pour ne surtout pas chuter dans le vide. C’est impressionnant. On grimpe cm par cm. Aucune sensation de vertige, qui serait pourtant tout à fait justifiée. Avec un genou non guéri, encore une fois bravo. On passe le col. Pour descendre de l’autre côté, il faudrait presque une corde d’alpiniste tellement c’est raide, tellement les rochers sont hauts. On est obligé de s’aider. C’est hyper physique. Et surtout dangereux. On est presque une dizaine à cet endroit. On ne peut passer que l’un après l’autre. Il faut faire des efforts intenses pour s’accrocher constamment aux roches. C’est rassurant de ne pas être seul dans une telle difficulté. C’est motivant."

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Extraits du chapitre 15

"Franchement, c’est la plus terrible épreuve de ce GR20 quand on a un genou défaillant. Cette descente est une torture. Rien ne tient, où que l’on mette le pied ! C’est tout un pan de montagne qu’il faut descendre. Un pan raide constitué d’éboulis de rochers, de grosses pierres, de cailloux, et surtout d’innombrables petits cailloux qui dévalent la pente dès qu’on met le pied dessus. Dangereux. On peut tomber à tout instant, déséquilibré par le sac à dos. C’est un exploit que de réussir à ne pas tomber une seule fois durant cette infernale descente. D’ailleurs, il faut souvent mettre une main au sol pour ne pas glisser. On se tient tous les deux quand c’est nécessaire. C’est à dire souvent. Petit pas après petit pas, tout doucement, on descend. C’est interminable. Tout le corps travaille à fond, tous les muscles sont sollicités. Maintenant, ça râle constamment. Et pas gentiment. Le genou, la chaleur, la soif, la fatigue en sont responsable. Donc c’est normal. Faut accepter."

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"À ce stade de chaleur, il faut une volonté d’enfer pour progresser. Heureusement qu’on a chapeau, lunettes de soleil et crème solaire. Nos doigts sont tout gonflés, et nous font mal. Il faudrait presque avoir des gants de cycliste, avec les doigts libres, pour toucher la roche, tellement elle est chaude ! Il faut faire des efforts inouïs conjugués à une attention extrême pour grimper. C’est horrible. On ne pense plus qu’à boire, on est totalement asséché. Il doit faire environ 40 °C. Incroyable ce que forte chaleur et manque d’eau peuvent provoquer sur un corps humain. Le soleil devient notre ennemi, on le maudit. Il ne reste plus que quelques gouttes d’eau. On sait depuis ce jour-là que sans eau, on peut devenir fou. Un couple corse nous double. On dit qu’on a presque plus d’eau. Il regarde dans son tél. une carte avec des sources. On vit une époque de technologie absolument formidable. Il nous dit qu’il doit y en avoir une plus bas dans 1 km, mais il ne sait pas où exactement. Il en est désolé. On le remercie, c’est ça la mentalité haute montagne. Ils sont vraiment sympas. Et dire que des gens pensent que tous les Corses sont inhospitaliers ! Alors que ces mêmes gens ne sont jamais allés en Corse !"

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"Sur la roche, la chaleur est encore plus forte, on se croirait devant un four la porte ouverte. Vraiment. Ça n’en finit pas, franchement c’est super éprouvant. On a beaucoup trop chaud. Le manque d’eau commence presque à nous faire délirer. On imagine sans cesse apercevoir le refuge ! Franchement, faut être solide. On peut confirmer une fois de plus que le GR20 n’est pas pour tout le monde. Il faut des nerfs d’acier. Et pourtant, il faut avancer, juste avancer, avancer …"

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"Et incroyable, le couple corse qu’on avait rencontré tout à l’heure nous attend depuis un moment pour nous dire que la source est ici. Quelle gentillesse. On n’avait plus d’eau. Certain qu’on n’aurait pas pu continuer. C’est notre jour de chance. On remplit aussitôt les 4 gourdes même si ça fait 4 kg de plus à porter. On boit chacun au moins un demi-litre, d’une traite. On se souviendra toute notre vie de ces Corses qui nous ont probablement permis de continuer cette aventure. Merci infiniment."

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"Avec l’épreuve d’aujourd’hui, on est des aventuriers certifiés maintenant. On peut, à l’avenir, faire des randos trek de haute montagne, ça ne sera jamais pire. Impossible. Bravo, sincèrement, d’avoir tenu toute cette journée mémorable, avec un genou qui n’a pas facilité la tâche. Oublié le mauvais caractère avec les méchantes phrases. Une telle endurance mérite le respect."

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Extraits du chapitre 16

"La splendeur du ciel s’est modifiée, maintenant le ciel au fond de la vallée, en bas, est rose pâle, et les nuages sont devenus de très nombreux tous petits nuages blancs comme si les bandes de cotons s’étaient étirées et séparées. C’est absolument magnifique."

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"Le ciel a encore changé ses nuages. C’est exceptionnel. Au-dessus de nous, c’est comme un plafond de boules de coton, serrées les unes contre les autres. Toutes ces bouloches sont éclairées de blanc du côté du soleil et gris foncé de l’autre côté. Ce qui donne un relief extraordinaire. On ne distingue plus le ciel. On croit n’avoir jamais vu un tel spectacle."

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"On est devant le panneau officiel qui certifie la réussite de ce trek de haute montagne. On immortalise l’instant par la photo. D’un côté du panneau, un sourire radieux, sur un visage tout bronzé, dans un tee-shirt de sport rouge sans manche, le pantalon de sport noir, le chapeau large de randonneurs. De l’autre côté du panneau le sourire de la joie, de la plénitude, sur un visage avec un bouc, une barbe, une moustache, un polaire léger gris, un pantalon léger de montagne, le sac à ventre, la casquette à visière de randonneur. On est tout souriant. On est tout heureux. On est tout émotionné. On est complice à fond. On a les larmes aux yeux. Quel exploit! Que de moments inoubliables dans une vie. Ça vaut bien la peine de prendre le temps d’en écrire un livre."

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"On reste un instant devant cette plaque où tant de randonneurs ont dû se congratuler. Une pensée à tous les randonneurs qui ont dû abandonner, et on sait qu’ils sont nombreux. On retrouve nos amis Carole, Paul et Jocelyn, en nage. Ce sont des retrouvailles comme si on ne s’était pas vu depuis très longtemps. On va au panneau que l’on vient de quitter, et c’est le bonheur pour nous tous. C’est un moment grandiose, le partage d’un moment de bonheur des autres."

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"Les Québécois nous rejoignent pour une pietra bien méritée. Puis arrivent Maryse et Serge épuisés. Elle boite, dit qu’elle s’est faite mal aujourd’hui. Très volontaire Maryse, parce qu’après avoir fait une journée à l’hôpital suite à blessures, elle a repris le GR20 ! On parle tous de cette réussite, de ce rêve longtemps dans nos projets, de cette magnifique aventure, de l’exploit sportif, de l’amitié. On est bien tous ensemble, on se promet de se donner des nouvelles, de se revoir. C’est vrai que nous avons eu de la chance de les rencontrer et de former une belle équipe de randonneurs. Inoubliable."

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"Quelle magnifique aventure sportive et humaine. Quelle forte complicité. On a rencontré des aventuriers qu’on n’oubliera pas. On a croisé des patrons aussi détestables que leurs refuges minables. On a rencontré des Corses d’une grande gentillesse et vraiment sympas."

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